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Partir à deux

André et Blanche, allongés sur le lit se souviennent en attendant le happy and. Tout à l’heure, vers 18h, ils sont entrés dans le hall du magnifique palace parisien situé à deux pas de la Place Vendôme et de l’opéra Garnier. Nos octogénaires ont bien vu l’œil goguenard du portier, stupéfait de les voir entrant en se tenant la main et sans valise. Cela les a bien faire rire.

André et Blanche ont demandé la suite Royale, la plus belle avec vue unique sur toute la capitale et ils comptent bien en profiter. Un repas fin servi en chambre leur a permis de sabler le champagne tout en mangeant le menu raffiné du grand chef étoilé.

  • Tu te rends compte Dédé, 65 ans qu’on est marié ! C’est fou ce que le temps a passé vite !

Le Dédé regarde sa femme tendrement et se remémore leur mariage qui avait fait déplacé tous les notables de la ville de Nantes à la cathédrale Saint-Pierre. Comme elle était rayonnante sa Blanche dans tout l’éclat de ses vingt ans, 42 ans à eux deux et un avenir prometteur. La rencontre un an plus tôt à la faculté de droit Paris Descartes avec un grand coup de foudre qui tombait bien pour les deux familles. Il n’y aurait pas de mésalliance. Dans les années cinquante, elle, riche fille unique d’industriel et lui, le fils du très renommé juge de la ville de Nantes.

Et puis, les enfants sont arrivés très vite, un tous les deux ans. Au total trois avant leurs trente ans.

  • Je m’inquiète un peu pour Caroline, avec le courrier que nous avons laissé, je ne suis pas certaine qu’elle comprenne ! susurre la charmante Blanche.
  • Ce n’est pas grave ma chérie c’est notre choix de toute façon, ajoute le mari.

Un silence. Ils sont en train de penser à leur fille si conventionnelle et tellement imprégnée de traditions que cela en ai presque à pleurer. Deux mariages ratés, un fils ingérable, et ses parents maintenant ! C’est certain que ça va lui faire un choc. « Tant pis ! Ce n’est plus unil faut dire stop. Quant au troisième, Serge, le notaire qui va bientôt être en retraite, il va être trop occupé à gérer les affaires familiales pour se poser trop de questions. « Tout compte fait cela va se dérouler comme sur des roulettes », pense André.

  • Dis-moi mon Dédé, tant qu’on en ait à se faire des confidences, tu y tenais à ta pharmacienne ?

Ah ! La jolie pharmacienne du quartier Bouffay, que de souvenirs. Il n’avait jamais été aussi malade de sa vie au propre comme au figuré. La quarantaine, les enfants élevés et un besoin d’aller voir si l’herbe était plus verte ailleurs, l’avait poussé irrémédiablement dans les bras de la belle praticienne qui ne demandait que ça. Il s’en était suivi un désamour d’un an avec sa femme dont les crises de jalousie avaient marqué pendant pas mal de temps, les murs de leur belle maison nantaise.

  • Au fait, ma Blanchette, tu te souviens du beau militaire qui venait un peu trop souvent à mon goût prendre le thé à la maison ? Demande narquois l’infidèle, afin d’éviter de répondre à la question.

A ces mots, le rose monte aux joues de la vieille dame, elle a chaud soudain. Le colonel Chaffrin, bel homme à moustache lui avait donné bien des frissons et aussi une bonne dose de culpabilité. « Match nul », dirent-ils en cœur en riant. Cela n’avait pas mis de toute façon leur couple en péril. Ils étaient restés soudé malgré les autres incartades du tendre aimé qui avait fait le nécessaire par la suite pour rester le plus discret possible.

  • Au fait, il y a une question que je ne t’ai jamais posée. Ton métier ne t’a pas trop manqué lorsque tu as laissé ton étude à Serge ? Questionne Blanche d’une voix neutre.

« Et voilà la question qui fâche », pense-t-il. Oh ! Dire que ça lui a manqué est un euphémisme. e gamine », songent-ils en cœur avec compassion.

Et puis, il y a Thierry, l’enfant du milieu qui restera toujours leur Titi. Le plus affectueux et qui profite de la vie avec son âme d’artiste de violoniste. Lui, il va comprendre ! Il y a un moment où Son travail s’était toute sa vie et comme il l’avait aimé. Se sentir utile en s’occupant de mettre en ordre les héritages de la façon la plus humaine possible. Ecoutant quand il le fallait et faisant le nécessaire quand il s’apercevait qu’on essayait de le duper. Les deux ans écoulés pour seconder son fils lui avait redonné de l’élan. Vite réfréné cependant, car s’apercevant qu’il fallait qu’il parte, laissant la place libre à son successeur qui souhaitait diriger seul. Lui revint aussi à la mémoire cette soirée ou il avait décidé d’en finir avec la vie en voulant se pendre dans le grenier de la maison familiale. Le geste fatal tout compte fait ne s’accomplissant pas car il avait considéré cela comme une lâcheté ; estimant que Blanche avait le droit enfin ! De le voir plus souvent.

Cette femme qui l’avait accompagnée tout au long de sa vie, lui laissant le champ libre. Son admirable Blanche qui en abandonnant ses velléités de carrière en l’épousant s’était en quelque part sacrifier en s’occupant essentiellement de leurs trois enfants. Tout cela, il lui criait de toute la force de son âme s’apercevant qu’un misérable merci n’était pas suffisant.

  • Tu sais Blanchette, c’est de l’histoire ancienne tout ça, nous avons eu une belle vie. Nos deux fils et notre fille ont trouvé leur place dans la société et dans notre cœur. Nos petits enfants sont sympathiques et nous ont forcés à rester dans le coup. Alors, je pense fondamentalement que si nous avons des regrets, il faut les laisser aux oubliettes et se focaliser sur les bons moments et Dieu sait qu’il y en a eu beaucoup.

André se tourne alors vers le visage de sa femme et l’embrasse tendrement. Ils savent tous les deux qu’ils vont avoir le courage de faire le geste.

  • Tu as raison, il ne faut pas rester sur des regrets et je crois bien que c’est l’heure mon amour, dit-elle dans un murmure.

Le vieil homme prend les sacs en plastique disposés à côté de leur lit. Après un dernier « Je t’aime » mutuel, ils s’enveloppent le visage tout en se tenant la main. Leurs souffles s’envolent quelque temps après.

Thierry le violoniste est dans la chambre de ses parents, le directeur de l’hôtel l’a appelé. Il n’a pas besoin d’ouvrir la lettre qui lui ait adressée ainsi qu’à son frère et sœur. Il sait que ses parents ont voulu partir dans la dignité. « La perte de mobilité et de mémoire y sont certainement pour quelque chose. Ne pas se voir diminuer au fur et à mesure des mois, des années et laisser un souvenir de libre choix mutuellement consenti, permet d’expliquer leur geste », pense Thierry. Il comprend, admire et respecte profondément leur choix courageux. En sera-t-il de même pour sa sœur et son frère ? Il n’en ait pas certain, chacun vivant ce moment à sa façon et cela de manière très personnelle.

Tag(s) : #Concours de nouvelles
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